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L’aide financière aux pays pauvres est-elle détournée ?

Analyse

Une des idées reçues les plus courantes sur le sujet de la solidarité internationale est que l’argent envoyé aux pays bénéficiaires de l’aide publique au développement (APD) serait détournée pour finir dans les poches de dirigeants corrompus. La crainte de voir détournées les sommes dédiées au développement est bien sûr légitime, la corruption touche tous les pays, mais elle impacte particulièrement les populations les plus pauvres. Faudrait-il pour autant cesser de leur apporter notre soutien ? Assurément, non. Un retrait de l’aide serait contre-productif et constituerait une « double peine » pour ces populations déjà victimes de la corruption. 

Pour mieux comprendre d’où vient cette idée reçue et démêler le vrai du faux, ONE vous a préparé un article pour vous aider à y voir plus clair sur ce qu’est la corruption, comment elle impacte l’APD, le travail de notre ONG contre les flux financiers illicites et pourquoi cette aide est plus nécessaire que jamais.

1. La corruption de l’aide au développement est beaucoup moins fréquente qu’on ne le croit

Petit point sur les définitions : selon Handicap International, si la fraude peut être commise unilatéralement par un individu ou un groupe d’individus, la corruption quant à elle implique une « transaction » et une contrepartie financière ou sous la forme de faveurs ou d’avantages. 

Malgré cette idée reçue assez répandue, de nombreuses études montrent que l’aide au développement est en réalité peu concernée par la fraude et la corruption. Une enquête menée en 2013 a estimé que les pertes liées à la fraude et à la corruption ne concernaient que 1,4 % des sommes investies. 

Les pertes liées à la fraude enregistrée par les opérateurs de l’APD sont systématiquement inférieures à 1 %. Le ministère du Développement anglais les estimait entre 0,2 et 0,7 % en 2020, et l’Agence des Etats-Unis pour le développement international à 0,03 % en 2015. La fraude signalée au sein du système d’aide des Nations unies représente quant à elle environ 0,03 % de ses dépenses.

En France, des mesures ont été prises pour améliorer l’efficacité de notre aide, comme la création d’une commission d’évaluation composée de parlementaires et d’experts indépendants, placée auprès de la Cour des comptes, dont les travaux seront lancés d’ici la fin de l’année 2023 et qui doit permettre de mieux mesurer les résultats et l’impact des projets menés dans les pays partenaires.

2. L’APD est un des flux financiers les mieux contrôlés au monde

En 2021-2022, le service des impôts britannique a estimé à environ 4,6 % ses pertes en raison de la fraude. Plus généralement, les pertes financières liées à la fraude dans les sphères publiques, mais aussi privées et commerciales, au sein des pays d’Amérique du Nord, d’Europe et en Australie, représentent l’équivalent de 6 % de leur PIB. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la corruption du secteur public siphonne entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars de l’économie mondiale annuellement. En d’autres termes, la fraude et la corruption sont moins importantes au sein de l’APD qu’au sein des autres secteurs.

3. L’APD finance des activités de lutte anticorruption

Depuis 2016, l’aide extérieure britannique a permis de renforcer la gestion transparente des finances publiques au sein de 26 pays en développement. Le Partenariat budgétaire international, financé entre autres par l’Union européenne et la France, agit en faveur de la réforme des finances publiques. Son enquête annuelle menée dans 115 pays témoigne d’une amélioration continue de la transparence budgétaire depuis son lancement en 2006.

En 2010, le gouvernement du Ghana a réclamé un soutien international pour lutter contre la corruption dont il craignait qu’elle ne s’aggrave avec l’essor de ses activités d’exploitation pétrolière. Grâce au soutien technique financé par l’APD, il a modifié la loi sur les marchés publics et a adopté une nouvelle loi sur le droit à l’information. L’Union européenne et la France font également partie des principaux financeurs de l’Initiative relative à la transparence des industries extractives lancée en 2003, qui a permis de renforcer la transparence sur plus de 2 500 milliards de dollars de ressources pétrolières et minières.

4. ONE mène des campagnes pour lutter contre les flux financiers illicites

Selon le FMI, les flux financiers illicites désignent les mouvements transfrontaliers de fonds qui sont gagnés (corruption, contrebande…), transférés (fraude fiscale…) et/ou utilisés (financement du terrorisme…) de manière illégale. Les pays africains perdent chaque année 89 milliards de dollars à cause de ces flux financiers illicites, soit autant de ressources qu’ils pourraient investir dans le renforcement de leur système de santé ou dans leurs propres systèmes éducatifs.

Cette injustice est au cœur du combat de ONE qui mène campagne pour lever le voile sur l’opacité qui permet à l’évasion fiscale, au blanchiment d’argent et à la corruption de prospérer. En effet, les flux financiers illicites impliquent souvent des entreprises françaises et occidentales, et nous avons donc le pouvoir de lutter contre. Nous demandons ainsi aux multinationales françaises de rendre publiques leurs informations financières de base afin de permettre aux citoyens, aux journalistes et aux ONG de déceler les schémas d’évasion fiscale.

Nous demandons également aux gouvernements de mettre fin aux sociétés écran et demandons à chaque société de rendre public le nom de son bénéficiaire effectif. Enfin, nous analysons et suivons de près les abus qui peuvent survenir dans les secteurs extractifs (minier, gazier et pétrolier). Cela a conduit ONE, en partenariat avec Oxfam et Sherpa, à publier en 2016 un rapport d’analyse sur les pratiques financières de 6 grandes entreprises françaises en Afrique.

5. Le sous-développement favorise l’extrémisme violent

L’idée reçue selon laquelle l’aide au développement serait détournée pour finir dans les poches de dictateurs corrompus est souvent utilisée pour instiller le doute et avancer l’idée qu’il serait plus sage de réduire, voire couper, l’aide à certains pays. Or, l’aide au développement est absolument cruciale pour le développement d’infrastructures et l’accès à des services sociaux de base afin que les pays les plus pauvres puissent répondre aux besoins de leurs populations. 

Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le dénuement, la marginalisation socio-économique et le sous-développement poussent les jeunes africains vers l’extrémisme violent. L’étude révèle que le profil type d’une personne encline à l’extrémisme serait celle qui a connu une enfance marquée par la frustration, la marginalisation et la négligence, et qui se trouve confrontée à un manque de perspectives d’avenir, que ce soit sur le plan économique ou civique. La base de données de cette étude affirme l’importance de l’éducation comme facteur de résilience, car le chemin menant à l’extrémisme s’avère être considérablement influencé par un manque d’accès à l’école.

C’est en cela que l’aide au développement est nécessaire car elle représente une source de financement primordiale pour le développement des pays à revenu faible et intermédiaire, et il s’agit d’un outil crucial pour lutter contre l’extrême pauvreté, les inégalités et renforcer les Etats. Dans de nombreux pays figurant parmi les plus pauvres et fragiles du monde, l’APD permet de financer la mise à disposition de services publics essentiels comme la santé et l’éducation. 

Une aide plus nécessaire que jamais

Dans un contexte de convergence des crises, des conséquences économiques de la pandémie de COVID-19, de la guerre en Ukraine, du climat et de l’inflation, et alors que pour la première fois depuis les années 1990 l’extrême pauvreté connaît une recrudescence à l’échelle mondiale, il est urgent que la France renouvelle son soutien à la solidarité internationale. Notre pays a considérablement renforcé son engagement en faveur de l’aide au développement depuis 2017 et les parlementaires ont unanimement inscrit dans la loi du 4 août 2021 un objectif historique : allouer 0,7 % de notre richesse à l’aide au développement d’ici 2025.

Cependant, et malgré une mobilisation transpartisane historique, nous assistons à un recul du gouvernement sur ces engagements, avec un report de cet objectif à 2030 acté par les orientations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) et la stagnation des crédits de l’APD dans le budget 2024 de la France, en contradiction avec l’engagement présidentiel de poursuivre l’augmentation annuelle jusqu’en 2027. 

Comme nous l’avons vu, l’aide au développement n’est que peu touchée par le problème de la corruption, car elle est très contrôlée. Cette idée reçue doit donc être combattue car l’aide au développement est indispensable pour les pays les plus pauvres et leurs populations, et nous devons collectivement tendre vers son augmentation plutôt que vers sa réduction. Il est donc nécessaire que la France prenne sa part et respecte ses engagements, c’est une question de sécurité, car la pauvreté est terreau de violence, mais aussi et surtout, de solidarité. 

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