Ce billet de blog a été rédigé par Lilia Touil, jeune Ambassadrice de ONE.
L’Afrique, souvent perçue à travers des stéréotypes réducteurs, abrite pourtant d’immenses richesses naturelles et une diversité culturelle remarquable. C’est le continent avec la population la plus jeune. Malgré ce potentiel, l’Afrique fait face à une convergence de crises mondiales, notamment environnementales, illustrées par l’impact de la fast fashion.
Pourtant, loin de se laisser accabler par ces défis, l’Afrique les transforme en véritables opportunités créatives, soutenues par la dynamique de sa jeunesse et la richesse de son potentiel. Le continent s’affirme progressivement comme un acteur majeur de la mode responsable, réinventant les codes de l’industrie à travers des créateurs visionnaires et des savoir-faire ancestraux, tout en proposant des solutions durables qui remettent en question les modèles de consommation traditionnels.
Le Ghana : de décharge mondiale à laboratoire de résilience
Le Ghana, à l’instar d’autres pays africains, porte le poids des conséquences de la fast fashion. Chaque semaine, environ 15 millions de vêtements usagés arrivent par le port de Tema, le principal point d’entrée pour les textiles en Afrique de l’Ouest. Bien que destinés à la revente, une grande partie de ces vêtements se retrouve dans des décharges à ciel ouvert, comme au marché de Kantamanto.

Selon un rapport de l’ONU, près de la moitié de ces vêtements est rejetée dans des décharges ou dans les océans, provoquant une pollution massive des écosystèmes marins et terrestres (The Impact of the Textile Industry on the Environment and Climate Change, ONU, 2020, source).
Ce phénomène, en plus de mettre en péril la biodiversité locale, fragilise les ressources naturelles du pays. De manière similaire, Greenpeace, dans son rapport The True Cost of Fast Fashion (2021), met en lumière le rôle décisif de l’industrie textile dans l’aggravation des crises environnementales mondiales. Cette dernière est responsable de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, tandis que les déchets textiles se déversent dans les pays en développement, exacerbant la gestion des déchets.
Julia Faure, cofondatrice de Loom, une marque de vêtements éthiques et durables, précise dans le podcast ONE World (2022) que des pays comme le Ghana sont submergés par des volumes immenses de vêtements de mauvaise qualité, souvent impossibles à recycler. Ainsi, la crise écologique qui en découle dépasse les frontières locales et met en évidence l’urgence de réinventer nos modes de consommation, ici comme ailleurs.
La pollution générée par la fast fashion
Cependant, l’impact de la fast fashion va bien au-delà de l’accumulation de déchets. La production excessive de vêtements à bas prix génère une pollution considérable, tant sur le plan des ressources naturelles que des émissions de gaz à effet de serre. Julia Faure, dans le même épisode, rappelle un fait alarmant : l’industrie textile produit plus de CO2 que l’ensemble du secteur aérien.
Un constat qui exacerbe d’autant plus la crise climatique. À travers cette dynamique, la pollution générée par la fast fashion n’est plus simplement un problème environnemental localisé, mais un défi global.
L’upcycling comme solution durable
Face à ce constat, grave et urgent, des solutions concrètes commencent à émerger, offrant une lueur d’espoir dans un contexte de multi-crises. Le marché de Kantamanto est un exemple frappant de cette transition. Là, 25 millions de vêtements de seconde main sont remis en circulation chaque mois par le biais de la revente, de la réutilisation et de la réparation, soutenant ainsi l’économie locale tout en réduisant l’impact écologique. Ce modèle d’économie circulaire, qui intègre le recyclage et la réutilisation (plus communément appelé “upcycling”), démontre qu’il est possible de concilier durabilité et dynamisme économique. Il devient une alternative viable aux pratiques polluantes de la fast fashion.
Les créateurs et artisans du Ghana réinventent ainsi la production textile, en intégrant des pratiques traditionnelles et durables face à la surconsommation. L’upcycling, qui transforme les déchets en ressources, s’impose comme une réponse puissante et nécessaire à cette crise, pour le Ghana, mais aussi pour d’autres pays africains confrontés aux mêmes défis. Ces initiatives témoignent de la capacité de l’Afrique à se réinventer, à créer de la valeur à partir de la durabilité et à façonner un avenir plus responsable.
L’upcycling n’est qu’un exemple de la manière dont l’Afrique réinvente la mode de manière durable et responsable. Cette dynamique est également portée par des designers africains, qu’ils soient historiques ou émergents, qui allient tradition, innovation et éthique pour redéfinir le luxe mondial.
Ces designers africains qui redéfinissent le luxe mondial
Imane Ayissi (Cameroun)
Imane Ayissi, premier créateur subsaharien à rejoindre le calendrier officiel de la haute couture parisienne, allie authenticité et durabilité. À travers des matériaux comme le bogolan et le raphia, il réinvente le luxe en l’ancrant dans les traditions tout en prônant une mode respectueuse de l’environnement. Le raphia, fibre végétale durable, est l’élément clé de ses collections, alliant élégance et éthique. Ce choix va au-delà d’une simple tendance, il renoue avec des processus de production respectueux des savoir-faire ancestraux et de la nature, prouvant que luxe et durabilité peuvent se nourrir mutuellement. Ayissi redéfinit ainsi le luxe, le transformant en un acte créatif qui fait écho à notre héritage et à notre avenir, marqué par une conscience écologique.
Kenneth Ize (Nigeria)
Kenneth Ize réinvente le tissu aso-oke pour en faire des créations modernes tout en puisant dans les racines culturelles du Nigeria. Par ses collaborations internationales, comme avec Karl Lagarfeld en 2021, il montre comment la mode africaine peut transcender les frontières tout en intégrant innovation et tradition. Ses créations, alliant techniques ancestrales et vision contemporaine, redéfinissent le luxe africain en mettant l’accent sur la durabilité et la célébration des savoir-faire locaux. Ize réinvente ainsi le luxe, le rendant inclusif et profondément ancré dans sa culture.
Sarah Diouf (Sénégal)
Fondatrice de Tongoro, Sarah Diouf incarne un luxe éthique et responsable, fondé sur la slow fashion et la valorisation des artisans locaux. En produisant exclusivement au Sénégal, elle défend une mode durable qui respecte les préoccupations sociétales et environnementales. Portées par des célébrités comme Beyoncé, ses créations témoignent de l’impact croissant des designers africains sur la scène mondiale. Diouf réinvente la slow fashion, intégrant une forte composante sociale et économique tout en mettant en lumière l’importance de soutenir les talents locaux pour un avenir plus éthique.
Yves Saint Laurent (Algérie)
Né à Oran, Yves Saint Laurent a toujours reconnu l’influence profonde de son héritage algérien sur son art. Il affirmait : « Notre monde à l’époque était Oran et non Paris. Ni Alger, la ville métaphysique de Camus aux blanches vérités, ni encore Marrakech et sa bienfaisante magie rose. Oran, une cosmopole de commerçants venus de partout, et surtout d’ailleurs, une ville étincelant dans un patchwork de mille couleurs sous le calme soleil d’Afrique du Nord » (Pierre Bergé, Yves Saint Laurent: A Biography, 2009). Cette ville cosmopolite, où se mêle encore influences et cultures, a nourri l’imaginaire du créateur et s’est retrouvée dans l’univers visuel de ses collections. Les robes fluides, les teintes chaudes et les formes élégantes qu’il privilégiait rappellent les paysages du Maghreb et du Sahara. Yves Saint Laurent, tout en intégrant cette richesse culturelle africaine dans ses créations, a su faire de l’héritage nord-africain un élément fondamental et discret dans l’histoire de la mode.
Héritages vivants : quand les savoirs africains subliment le luxe
Le bologan (Mali)
Les savoir-faire africains, loin d’être relégués au passé, redéfinissent le luxe contemporain. Le bogolan, tissu teint naturellement et fabriqué à la main au Mali, incarne la slow fashion. Produit sans produits chimiques, il défie la production de masse et incarne une mode durable. Loin d’être un simple artefact, le bogolan devient un symbole d’une mode respectueuse de l’environnement et des savoir-faire ancestraux.

Le kente (Ghana)
Le kente, tissé à la main au Ghana, incarne la richesse culturelle de l’artisanat ghanéen. Aujourd’hui, des marques comme Studio 189 le réinventent pour l’adapter à la mode contemporaine tout en préservant son authenticité. Véritable expression culturelle, le kente devient un symbole de luxe durable, alliant tradition et innovation tout en soutenant la production locale.

Le haïk et le burnous (Algérie)
Le haïk, traditionnellement porté par les femmes d’Algérie, trouve une nouvelle vie dans des collections contemporaines, alliant tradition et élégance intemporelle. De même, le burnous, en laine de haute qualité, a inspiré des maisons de luxe comme Dior et Hermès, qui l’ont intégré à leurs collections, mettant en valeur un luxe respectueux des ressources naturelles et des savoir-faire locaux.

Les maisons de luxe explorent de plus en plus les savoir-faire africains. La collaboration Dior-Uniwax pour la collection Croisière 2020, qui intègre des textiles traditionnels africains, est un exemple de ce mariage réussi entre haute couture et durabilité. Hermès, de son côté, a intégré le bogolan dans plusieurs de ses collections, prouvant que l’industrie du luxe peut allier esthétique, authenticité et respect de l’environnement.
Chaque pièce, qu’il s’agisse du kente ou du bogolan, raconte une histoire culturelle. Contrairement à la production de masse, ces créations respectent l’individu et l’environnement, contribuant à valoriser les savoir-faire locaux et à préserver les traditions. Loin des uniformes de la fast fashion, la mode africaine propose une vision humaine et durable, chaque création étant unique et ancrée dans son héritage culturel. Ce luxe, loin de l’opulence démesurée, devient une réponse mesurée à la surconsommation, en intégrant la mémoire collective et les défis environnementaux contemporains. L’Afrique se positionne ainsi comme un leader dans la redéfinition du luxe, prouvant qu’il est possible de marier art, culture et responsabilité environnementale.
Une Afrique qui réinvente la mode et le monde
L’Afrique, plus qu’une simple source d’inspiration pour la mode mondiale, devient un acteur central dans la transformation de l’industrie vers un modèle plus durable. Des figures emblématiques comme Yves Saint Laurent, qui a puisé dans la créativité de l‘Afrique du Nord pour réinventer le luxe, mais aussi des créateurs plus jeunes comme Imane Ayissi, Kenneth Ize et Sarah Diouf, montrent que la mode peut être à la fois éthique et innovante.
En réintégrant des savoir-faire traditionnels et en défiant les pratiques polluantes de la fast fashion, ces figures, qu’elles soient historiques ou émergentes, redéfinissent le luxe. Mais ce mouvement dépasse largement le cadre de la mode. Il s’inscrit dans une dynamique globale où l’action collective et les investissements stratégiques en Afrique créent une multitude de possibilités économiques, allant de l’agriculture durable à l’industrie technologique, en passant par l’énergie verte et les infrastructures locales. Grâce à une approche inclusive, l’Afrique se positionne comme un pôle d’innovation mondiale et un acteur clé d’un monde plus juste et durable.
En valorisant ses talents locaux, ses savoir-faire traditionnels et ses initiatives écoresponsables, elle ouvre la voie à un avenir où croissance économique et préservation de l’environnement se nourrissent mutuellement. Il est impératif de bâtir des opportunités économiques durables pour les générations futures et ainsi poser les bases d’une planète plus équitable, respectueuse des ressources.