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Le labyrinthe (de maïs) de la sécurité alimentaire en Afrique

Données, ONE

La crise alimentaire mondiale a exacerbé les pénuries alimentaires existantes dans de nombreux pays africains. Les appels humanitaires ont atteint un niveau record, mais la réponse internationale a été léthargique et inégale, laissant des millions de personnes en danger de famine, en particulier dans la Corne de l’Afrique. Le continent africain ne peut pas se permettre de continuer à aller d’une crise à l’autre, ou à dépendre de l’aide internationale pour nourrir sa population. La crise actuelle doit être un catalyseur pour que l’Afrique atteigne son objectif d’éliminer la faim et l’insécurité alimentaire d’ici 2025. Renforcer l’autosuffisance agricole et la sécurité alimentaire de l’Afrique permettrait de réduire la pauvreté, d’accroître le commerce et de stimuler la croissance économique.

Dans cette édition spéciale, nous explorons les défis et les opportunités actuels.

LES CHIFFRES : LES DÉFIS ACTUELS DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE EN AFRIQUE

Dépendance humanitaire : 

  • Près de 49 milliards de dollars sont nécessaires en 2022 pour aider plus de 200 millions de personnes, selon l’ONU.
  • Mais seulement un tiers de cette somme a été collecté, alors qu’il ne reste que quatre mois dans l’année.
  • Il s’agit du plus grand déficit de financement humanitaire jamais enregistré dans le monde. Un pays africain sur trois (pour un total de 18 pays) a besoin d’une aide humanitaire cette année. Les besoins de financement n’ont été satisfaits que dans deux de ces pays; 13 ont reçu moins de la moitié de ce qui est nécessaire.

La faim, ancienne et nouvelle :

  • Plus de 300 millions d’Africains ont été touchés par la crise alimentaire mondiale. Plus de 37 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique sont confrontées à une famine aiguë. En Somalie, une sécheresse historique a conduit 7 millions de personnes au bord de la famine.
  • La guerre en Ukraine et les pénuries alimentaires qui en résultent ont attiré l’attention sur les questions de sécurité alimentaire. Mais les crises alimentaires existaient déjà dans de nombreux endroits avant cette année. En 2020, 85 % des habitants d’Afrique Subsaharienne n’avaient pas les moyens de s’offrir une alimentation saine.
  • La population de l’Afrique devant augmenter d’un milliard de personnes et la demande alimentaire mondiale devant doubler d’ici 2050, il est essentiel de s’attaquer aux causes sous-jacentes des crises alimentaires, aujourd’hui et à l’avenir.

Le changement climatique : 

  • La hausse des températures et l’imprévisibilité des précipitations causées par le changement climatique ont multiplié par trois les sécheresses qui détruisent les cultures et par dix les inondations en Afrique depuis les années 1970.
  • Pas moins de 118 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté en Afrique seront exposées à la sécheresse, aux inondations et à la chaleur extrême d’ici 2030. La Corne de l’Afrique connaît sa pire sécheresse depuis au moins 40 ans. Il s’agit de la 152ème sécheresse en Afrique depuis 2000.
  • Le continent dispose de moins de 9 % des ressources mondiales en eau, qui sont très inégalement réparties entre les pays.

Faible productivité, subventions élevées : 

  • L’agriculture fournit des moyens de subsistance à 60 % de la main-d’œuvre active de l’Afrique et représente 17 % de son PIB. Cependant, la productivité est faible et les agriculteurs sont confrontés à des problèmes qui entravent la capacité du continent à se nourrir et à se protéger des chocs extérieurs.
  • Les subventions agricoles considérables accordées dans le Nord “faussent les marchés, étouffent l’innovation et nuisent à l’environnement”, ce qui fait baisser les prix des produits agricoles mondiaux et nuit aux agriculteurs du sud. Les 54 pays les plus riches dépensent 700 milliards de dollars en subventions agricoles chaque année.
  • La pauvreté généralisée, l’insuffisance des investissements publics et la mauvaise coordination des politiques agricoles réduisent la production alimentaire.
  • Les conflits peuvent bloquer l’approvisionnement en nourriture, interrompre la production et exacerber les violences contre les femmes, ce qui entraîne une diminution de la production agricole et de la sécurité alimentaire.

Infrastructures et sols appauvris : 

  • Les contraintes liées aux infrastructures telles que le mauvais état des routes et le manque d’irrigation entravent également la production et le commerce des denrées alimentaires.
  • L’Afrique a le taux d’utilisation de semences améliorées et d’engrais le plus faible de toutes les régions. Les 48 pays d’Afrique Subsaharienne réunis utilisent à peine 5 % de la quantité d’engrais utilisée par la Chine et 7 % de celle utilisée par les États-Unis.

TROIS OPPORTUNITÉS CLÉS

Les facteurs externes tels que les subventions agricoles occidentales ou le changement climatique restent largement hors du contrôle des pays africains. Mais les gouvernements africains peuvent prendre des mesures concrètes pour transformer leur secteur agricole et renforcer la sécurité alimentaire nationale. Avec des terres agricoles abondantes, des ressources en eau inexploitées et une main-d’œuvre peu coûteuse, l’Afrique a le potentiel pour se nourrir, et aider à nourrir le monde.

  1. Développer l’autosuffisance : L’Afrique possède un quart des terres arables de la planète, mais elle ne représente que 10% de la production agricole mondiale. Depuis 2012, l’Afrique Subsaharienne a importé pour 40 à 50 milliards de dollars par an de denrées alimentaires, dépassant ainsi les exportations alimentaires (environ 35 milliards de dollars). L’augmentation de la production pourrait également contribuer à stimuler le PIB (près d’un quart du PIB de l’Afrique Subsaharienne provient déjà de l’agriculture) et à réduire la pauvreté. Les investissements dans l’agriculture sont deux à trois fois plus efficaces pour réduire la pauvreté que les investissements dans d’autres secteurs.
  2. Dynamiser le commerce intra-africain : Seuls environ 20 % des importations alimentaires africaines proviennent de l’intérieur du continent. Une grande partie de ces importations pourrait être produite et commercialisée localement, ce qui permettrait de créer des emplois, d’augmenter les revenus et de renforcer la sécurité alimentaire. La zone de libre-échange continentale africaine (l’AfCFTA) vise à améliorer la coordination du commerce à l’intérieur et à l’extérieur du continent en regroupant et en valorisant les produits de base africains. À ce jour, 43 des 55 pays ont entamé le processus de ratification. S’il est pleinement mis en œuvre, l’AfCFTA pourrait stimuler le commerce intra-africain de biens et de services à hauteur de 25 % d’ici 2040, et permettre aux agriculteurs et aux entreprises agroalimentaires africains de contribuer à un pourcentage plus important des besoins alimentaires croissants de l’Afrique.
  3. Créer un mouvement de la jeunesse agricole africaine : L’Afrique a la population la plus jeune et à la croissance la plus rapide du monde. D’ici 2035, le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail en Afrique dépassera celui du reste du monde réuni. La création d’opportunités pour cette population dans l’industrie agroalimentaire augmentera la production alimentaire et diminuera le taux de chômage élevé des jeunes dans les pays africains.

TROIS PROCHAINES ÉTAPES

Le renforcement de la sécurité alimentaire en Afrique nécessitera des investissements importants et des mesures politiques.

  1. Augmenter les investissements du secteur public : Les gouvernements africains ont consacré en moyenne 2,6 % de leurs dépenses publiques à l’agriculture en 2020, contre 3,1 % en 2001. Et ce, malgré l’engagement pris en 2003 (la Déclaration de Maputo) et réitéré en 2014 (la Déclaration de Malabo) d’allouer au moins 10 % des dépenses publiques chaque année à l’agriculture. L’Afrique Subsaharienne aura besoin de huit fois plus d’engrais, de six fois plus de semences améliorées, d’au moins 8 milliards de dollars d’investissements dans le stockage de base et jusqu’à 65 milliards de dollars dans l’irrigation pour maximiser ses rendements agricoles. Des investissements dans les infrastructures, notamment les routes, les ports et l’électricité, seront également nécessaires.
  2. Le pouvoir aux femmes : Les femmes jouent un rôle essentiel dans la production alimentaire de l’Afrique, mais elles ont moins accès aux ressources productives et aux droits fonciers. Améliorer l’accès des femmes à ces deux éléments permettrait d’augmenter les rendements agricoles jusqu’à 30% et de réduire la faim jusqu’à 17%. Mais il faut pour cela démêler un réseau complexe de politiques et de normes sociales qui dictent les droits fonciers, les services financiers et le pouvoir de décision. Par exemple, dans de nombreux pays africains, les lois documentées sur la propriété foncière sont moins répandues que les lois coutumières sur la propriété et, souvent, elles ne garantissent pas aux propriétaires tous leurs droits (par exemple, celui de transférer des terres). Et les lois coutumières peuvent empêcher les femmes (ou certains hommes) de prendre des décisions importantes concernant leurs terres ou d’obtenir les financements nécessaires. Les gouvernements africains doivent mettre en place des mesures qui garantissent aux propriétaires les pleins droits sur leurs terres.
  3. Un leadership continu de la part de la Banque africaine de développement : La Banque africaine de développement a approuvé un financement de 1,13 milliard de dollars pour 24 nations africaines afin d’atténuer la hausse des prix alimentaires, l’inflation et le déficit alimentaire actuel (qui représente au moins 30 millions de tonnes de nourriture). Ce financement permettra de fournir à 20 millions de petits exploitants agricoles africains des semences certifiées et un meilleur accès aux engrais, ce qui contribuera à mettre fin à la dépendance à l’égard des importations russes et ukrainiennes. En cas de succès, le fonds soutiendra la production des agriculteurs africains de 11 millions de tonnes de blé, 18 millions de tonnes de maïs, 6 millions de tonnes de riz et 2,5 millions de tonnes de soja d’ici 2024. C’est ce qu’on veut entendre.

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