Cette tribune de Friederike Röder, directrice France de ONE, a été initalement publiée dans Les Echos
Cette année, l’Allemagne a voulu placer l’Afrique au cœur du G20. Ce jeudi, les ministres des affaires étrangères du G20 réunis à Bonn doivent veiller à créer de véritables partenariats avec l’Afrique, en investissant dans un “triple E” durable, éducation, emploi et émancipation, afin de se préparer au doublement de la population du continent et d’offrir toutes les opportunités auxquelles sa jeunesse a droit.
Ce jeudi s’ouvre la réunion des ministres des Affaires étrangères du G20 à Bonn, en Allemagne, dans un contexte où plusieurs grandes puissances mondiales oscillent entre nationalisme et multilatéralisme. Pourtant, les temps actuels appellent plus que jamais à la coopération internationale – face aux inégalités grandissantes, à l’exacerbation des conflits, au changement climatique et à l’interdépendance croissante de nos sociétés, le G20 ne peut pas répondre par le repli sur soi.
Aucun pays ne pourra faire face seul à ces défis, car ce qui se passe à l’autre bout du monde importe désormais tout autant que ce qui se passe à notre porte. C’est pourquoi il est essentiel que le G20 opte pour une coopération internationale qui s’étend au-delà des frontières de ses membres et notamment à l’Afrique.
Le continent africain est aujourd’hui celui qui se trouve en première ligne face à ces défis mondiaux et qui en subit les pires conséquences. Mais il est surtout au coeur de la solution à long terme. Le continent verra sa population doubler d’ici à 2050 et déjà d’ici à 2030, par exemple, le nombre de jeunes au Niger augmentera de 92 % par rapport à 2015. Contrairement à l’Europe et à d’autres régions du monde vieillissantes, c’est bien l’Afrique qui pourra tirer la croissance mondiale vers le haut, apporter l’énergie et la créativité nécessaires pour bâtir l’avenir de la jeunesse mondiale. Mais ceci ne se fera pas automatiquement.
Regardons le Nigeria aujourd’hui : première économie mondiale d’Afrique, 6e exportateur de pétrole dans le monde. Le pays a un rôle de premier plan à jouer dans la stabilisation économique et politique du continent, voire au niveau international, et devrait contribuer massivement à la réduction de l’extrême pauvreté. Sauf qu’il est aussi frappé par l’extrémisme de Boko Haram, un phénomène qui risque de déstabiliser la région entière et qui a déjà aggravé de manière considérable la situation humanitaire dans le nord du pays : 12,6 millions d’enfants n’y sont pas scolarisés, 400 000 enfants ont urgemment besoin d’aide alimentaire, sans parler des filles enlevées par Boko Haram il y a presque trois ans et dont 197 d’entre elles n’ont toujours pas été retrouvées.
Seulement, en 2016, la communauté internationale n’a financé que la moitié des besoins humanitaires dans le nord-est du Nigeria. On sait pourtant qu’il n’y aura pas de stabilité si la population n’a pas accès aux services les plus fondamentaux – ou si elle n’y a accès que par le biais de Boko Haram.
Cette réponse d’urgence vitale doit aussi s’accompagner d’investissements à long terme. Le G20 doit, aujourd’hui plus que jamais, pleinement jouer son rôle de forum de coopération internationale et bâtir un partenariat durable avec l’Afrique – au risque de ne plus être pertinent d’ici quelques années et de ne pas répondre dans les temps aux défis du continent. L’Union africaine a déjà adopté une feuille de route pour se préparer au doublement de sa population et offrir toutes les opportunités auxquelles sa jeunesse a droit. Au G20 maintenant d’apporter sa pierre à l’édifice en investissant dans l’Éducation, l’Emploi et l’Émancipation des jeunes. Après le triple A qui a souvent été la première préoccupation des membres du G20, il faut arrêter de se regarder le nombril et soutenir ce triple E plus durable.
Aujourd’hui, pour 95 millions d’enfants en Afrique, aller à l’école ne va pas de soi et les filles en particulier font face à des obstacles de taille. L’éducation est la base grâce à laquelle la jeunesse peut imaginer et construire son avenir. Il faut que les pays du G20 priorisent l’éducation en Afrique – l’accès à celle-ci, mais aussi sa qualité.
Mais l’éducation elle-même risque de créer plus de frustration qu’autre chose si les jeunes n’ont pas de débouchés. Le soutien à l’éducation doit s’accompagner de véritables investissements dans l’emploi des jeunes, mais aussi dans leur émancipation politique et sociale. Des projets comme le pacte pour l’emploi en Éthiopie financé par l’Europe et la Banque mondiale, qui permettra de créer 90 000 d’emplois, dont un tiers pour des réfugiés, devraient être répliqués sur l’ensemble du continent. Il faudra également en faire davantage pour les petites entreprises africaines, qui sont le véritable terreau de l’économie. Ceci ne demande pas forcément beaucoup d’argent – une prise de capital de quelques dizaines de milliers d’euros peut avoir un impact fulgurant – c’est encore une fois une “simple” question de volonté politique
Les études montrent ce que nous savons tous : l’être humain n’est pas qu’un acteur économique, il a aussi besoin d’avoir voix au chapitre et de se sentir un citoyen à part entière. D’où la nécessité pour le G20 de mettre l’accent sur l’égalité entre les femmes et les hommes, dans l’éducation, mais aussi de soutenir des jeunes qui veulent contribuer à la vie publique.
Les exemples ne manquent pas : comme ces organisations de jeunes qui, armés de leurs téléphones portables, essayent de tracer l’argent – les allocations du gouvernement central, les financements internationaux de projet – pour instaurer plus de transparence et demander des comptes à leur gouvernement. Investir dans de telles associations et aider les jeunes à s’organiser devraient être chose facile pour le G20, d’autant plus que l’opinion publique demande à voir ses dirigeants politiques prendre des actions concrètes et porteuses de sens.
Friederike Röder (Directrice France de l’ONG ONE)